dimanche 26 avril 2020

L'Oiseau et la lame de Megan Bannen - Ou la nature hostile est désormais un paradis

Genre : Romance / Historique
Année de parution : 2019
Edition : Editions Albin Michel
Format : Grand format broché
Nombre de pages :  364 pages

Série complète 


De quoi ça parle ?



1279, Saray, Empire mongol. Réduite en esclavage lors de l'invasion mongole, la jeune chinoise Jinghua est maintenant au service du khan Timur et de son fils, Khalaf. Quand la cité est assiégée par une tribu ennemie, elle est contrainte de fuir avec les deux hommes. Pour regagner sa place et sauver sa lignée, Khalaf a un plan. Il va répondre aux trois énigmes de Turandot, fille du grand khan. S'il y parvient, il obtiendra sa main. En cas d'échec, Khalaf sera exécuté. Jinghua est bien décidée à le suivre sur ce chemin périlleux. Est-ce par devoir, par amour, ou bien pour conquérir sa propre liberté ?


La chronique 


Après la petite déception qu'avait été le Maître Nécromant pour moi, je me suis plongée dans la dernier roman de ma PAL bibliothèque (jamais été aussi heureuse d'avoir succomber à l'emprunt compulsif avant le confinement) avec une certaine impatience. De base, je n'attendais pas des grandes choses de ce roman, c'était un petit livre, proposé par une bibliothécaire de ma ville, qui me l'a refourgué dans les mains en me disant "tien, ça se passe dans l'empire Mongol mais tu devrais aimer". Je crois que je lui doit au moins deux bisous et un grec. 

J'ai toujours eu une appétence particulière pour les romans avec une ambiance propice au voyage. Explorer d'anciennes contrées, la vie au cours d'époques lointaines, notamment en Asie, ça a toujours été une source d'excitation pour moi. Je trouve qu'on gagne beaucoup à se plonger dans les richesses culturelles des autres pays, des autres époques. A l'instar du clan des Otori ou de Musashi, l'Oiseau et la lame regorge de cette richesse venue d'un autre temps. Ici, on est pas dans de la fantaisie. J'aurais plus tendance à classer ce roman dans de la romance historique. Une histoire romancée, bien évidemment, mais une histoire quand même. L'auteur nous explique d'ailleurs, en fin de roman, tout le processus de création de ce livre. L'Oiseau et la lame est la réécriture d'un conte du recueil de nouvelles les Mille et un jours, plus précisément du Prince Khalaf et de la princesse de Chine. Une histoire d'amour, tragique, parce que oui, l'Oiseau et la lame n'est pas une histoire qui se finit bien. 

Comme dit dans le résumé, on suit le parcours de Jinghua, esclave du Khan Timur, un puissant chef mongol. L'histoire est raconté de son point de vu, à la première personne, et si je ne suis pas très fan de ce genre de style, en général (je trouve le style en "je" très enfermant), il faut avouer que ça marche du feu de dieu ici. Le livre a de nombreux points forts, je pense qu'on va arrêter de tourner autour du pot : ça a été un coup de cœur. J'ai adoré ce livre. Il m'a fait rire. Il m'a fait pleurer. Ça a été une lecture intense, touchante, troublante, et je pense avoir rarement lue d'histoire d'amour aussi incroyable que celle liant Jinghua à Khalaf, notre héro. C'est vivant, c'est maladroit, c'est beau, c'est déchirant. Bref, on pourrait en parler des heures, ce livre m'a fait ressentir des choses que je n'avais plus ressentie depuis longtemps... Et ça fait du bien, surtout en ce moment. 

Le premier point fort du livre c'est son univers, l'auteure a énormément travaillé le cadre de son histoire. Elle prend le temps de nous en expliquer les tenants et aboutissants dans une note de l'auteur foutrement intéressante, les inspirations, l'origine historique de certains personnages, les quelques anachronismes et écarts qu'elle s'est autorisée pour le bien de l'intrigue et pourquoi etc. C'est très impressionnant et surtout dépaysant. J'ai trouvé assez bluffant la façon dont l'immersion à tout de suite opéré, avec moi. On voyage, on visualise très bien l'univers et malgré l'époque, je me suis retrouvée bluffée par la grande place que prend l'art et les sciences au sein du récit. Parce que l'art, et plus précisément celui de la poésie, à une place toute particulière dans notre histoire et plus précisément dans l'histoire d'amour de nos deux héros. Ça a été un plaisir supplémentaire de découvrir ces textes et plus spécialement un certain poème qui est, sans nul doute, la plus belle déclaration d'amour qu'on puisse faire à quelqu'un. 

L'amour parlons-en. Khalaf et Jinghua sont incroyables. Tant ensembles que séparément. Je trouve les personnages particulièrement intéressants et complexes. Khalaf est fils d'un Khal, un prince, quelqu'un de la haute, quoi. Érudit, bon en combat, mais ce qui le définit vraiment c'est cet appétence pour le savoir, cette fierté à tout connaître, cette curiosité qui lui confère une très grande ouverture d'esprit. Et c'est agréable, agréable d'avoir un personnage masculin qui offre d'autres valeurs masculines que la force physique et labilité au sabre. Agréable d'avoir un personnage qui brille non pas que par son physique, mais aussi et surtout pour son intelligence et la maladresse que lui confère sa pseudo "sagesse". Parce que si Khalaf est un personnage savant, il n'en est pas pour autant très doué socialement. C'est un garçon de dix-neufs ans, plus à l'aise avec les livres qu'avec les gens et la gente féminine en général. Il dit les choses sans les dires, fait un pas sans le faire complètement. Ça pourrait être agaçant, mais ça ne l'est pas. Si il est hésitant dans son histoire d'amour, c'est pas tant par crainte que de ne pas savoir comment s'y prendre et, à mon sens, si son statut rentre en jeux, ça ne reste qu'une excuse secondaire et de façade parce que Khalaf ne fait pas grand cas des biens matériels. Outre Khalaf, on a Jinghua, notre héroïne et narratrice. J'ai lu dans pas mal de chroniques qu'on trouvait le personnage de Jinghua agaçant à cause de sa disposition à se dévaloriser toutes les deux lignes et... C'est vrai, Jinghua est un personnage qui se punit beaucoup, s'insulte et se maltraite. Mais je n'ai pas trouvé ça agaçant ou mal foutu, j'ai trouvé ça réaliste. Parce que cette mentalité existe et ce n'est pas un mal de la représenter, surtout quand elle s'explique aussi bien. Jinghua a toute une vie, tout un contexte qui fait qu'elle en arrive à se dénigrer à ce point. La haine de soit même, ne pas reconnaître sa valeur, ça existe et ce n'est pas être faible ou chiante. D'autant plus que Jinghua est, à mon sens, bien plus forte que la plupart des personnages féminins dits forts. Douter de soi et ne pas s'aimer ne fait pas de vous quelqu'un de faible, loin de là, et Jinghua nous le prouve. C'est un personnage qui agit, qui fait preuve d'un courage et d'un sens du sacrifice dont peu de personnes peuvent se vanter. Alors oui, qu'elle se compare aux autres, se dévalorise souvent peut-être un frein, mais je trouve que ça en fait un personnage encore plus beau et passionnant. Malgré ses faiblesses, Jinghua avance, les reproches dont elle s'accable ne sont jamais une excuse pour la rendre feignante, fragile ou même passive. C'est une femme forte, que la vie n'a en rien épargné, qui en tire des failles et des traumatismes qui font qu'elle ne peut s'apprécier comme elle le devrait, mais c'est une femme forte et courageuse quand même. Assez forte pour se dresser comme un égale de ses homologues masculins, assez forte pour s'affranchir de son statut d'esclave et devenir un pilier qui tien aussi bien Khalaf que son père, Timur, assez forte pour se dresser face à ses bourreaux, assez forte pour affronter ses peurs, assez forte pour se dresser face à Turandot, l'idéal féminin, et la remettre à sa place. Timur, aussi, on pourrait en parler. Un vieux mongol bourru mais ô combien touchant. Un coup de cœur ce personnage, même si les premières pages ne nous donne pas vraiment de raisons de l'aimer. On apprend à l'apprécier au fil des chapitres, on apprend à voir ses failles, à voir le père sous la carapace de dirigeant. Sa répartie est excellente et ses répliques font toujours mouches, son duo avec Jinghua est autant hilarant que touchant. On peut aussi parler de Turandot, la princesse de cette histoire, une femme forte si il en est, parce que Turandot se dresse contre le patriarcat en vigueur à l'époque à affirme sa volonté d'être une femme avant d'être une épouse. C'est fort, mais Turandot est surement le personnage que j'aime le moins, car si elle est belle, intelligente, parfaite, elle n'en reste pas moins profondément égoïste et n'éprouve aucun remords quant aux conséquences de ses actes. 

Tout le casting du roman est un point positif du livre, tous touchants, incroyables, bien écrits et c'est un plaisir d'avoir des personnages aussi complets et complexes. Mais ça ne fait pas tout. Outre les personnages, il faut qu'on parle de la chronologie de l'histoire, que je trouve superbement efficace et qui rend la dernière partie du livre intense et incroyable dans les sentiments qu'elle fait ressortir. Tout le livre est semblable à un puzzle, une énigme qu'on résout petit à petit, et c'est seulement dans les derniers chapitres qu'on comprend, qu'on réalise la puissance de l'histoire, de ses personnages, de leurs sentiments et c'est beau. Mais le plus gros point fort du livre, c'est sa romance. L'histoire entre Jinghua et Khalaf est l'une de plus belle que j'ai jamais lue. J'ai été profondément touchée et bouleversée par le récit de ces deux gamins qui s'aiment sans se le dire. Alors ouais, c'est un peu rageant d'avoir si peu de "concret", mais c'est ce qui rend tout le tragique de l'histoire aussi efficace, c'est ce qui fait que c'est si beau. C'est crédible, touchant, chaque moment entre eux est d'une douceur infinie. C'est une histoire qui prouve qu'on a pas forcément besoin de se rouler des patins et de se dire je t'aime pour partager quelque chose de fort et d'unique. Bref, perso j'ai adoré. 

Encore plus cette dernière partie qui m'a retournée. Le grand chapitre final du livre ne vous épargne pas, on passe de rebondissement en rebondissement et la fin vous déchire sans aucune pitié. Pourtant c'est beau, même si c'est cruel au possible c'est beau. C'est peut-être même parce que c'est aussi cruel que c'est beau. 

On pourrait en parler des heures, mais le mieux c'est encore que vous fonciez le lire. 

Un livre de vers sous la branche,
Un pichet de vin, une miche de pain et toi
A mes côtés, chantant dans la nature hostile
Et la nature hostile est désormais un paradis 

Ma note : 20/20

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