mercredi 3 juin 2020

Forbidden de Tabitha Suzuma - Ou trois petits pas, puis le vide

Genre : Dark Romance/ Drame
Année de parution : 2017
Edition : Editions Milady (New Adult)
Format : Roman broché
Nombre de pages : 534 pages


One shot 

De quoi ça parle ? 


Maya et Lochan ne sont pas des adolescents comme les autres. Élevés par une mère alcoolique et instable, ils sont livrés à eux-mêmes et n’ont d’autre choix que d’élever seuls le reste de la fratrie. Forcés de devenir adultes plus tôt que prévu, ils se soutiennent dans l’adversité et finissent par tomber amoureux. Lochan se sent seul au monde, et Maya est la seule à pouvoir le comprendre. Conscient de la monstruosité de cet amour, Lochan est prêt à tout pour bâillonner le désir et les sentiments que sa sœur lui inspire. Mais comment résister alors que Maya a besoin de lui autant qu’il a besoin d’elle ? Est-ce un crime de s’aimer si fort ?


La chronique 


Attention : Forbidden traite de sujets qui peuvent heurter votre sensibilité, nous parlons d'inceste, de maltraitance, de phobie sociale, de violence sur un public mineur et j'en passe. Je ne peux que vous conseiller de ne pas poursuivre la lecture de la Chronique si vous vous sentez mal à l'aise vis-à-vis de tout ce qui a été cité ci-dessus.


Voilà un bon moment que Forbidden revenait dans mes recommandations Booktube. Beaucoup de review, pour beaucoup d'avis ultra-positifs sur une romance quelque peu casse gueule... Parce que Forbidden, c'est une histoire d'amour incestueuse entre une sœur et un frère. Comme beaucoup, j'ai été élevée dans l'idée que ce genre de relation était tabou, malsaine, mauvaise. On n'aime pas son frère comme on aime un homme, on n'aime pas sa sœur comme on aime une femme. Il y a différents "niveaux" d'amour, différentes cases qu'on se doit respecter. Ce qui en sort devient alors anormal et condamnable : l'inceste en fait partit. Aussi, j'ai eu une certaine curiosité malsaine et morbide à vouloir voir comment un livre allait essayer de mettre à mal les convictions fortes héritées de mon éducation et de la société. J'étais curieuse de voir jusqu'où je pouvais être ouverte, jusqu'où je pouvais comprendre. Plus qu'une histoire d'amour atypique, j'ai pris Forbidden comme une espèce d'expérience étrange visant à mettre à mal une vision du monde et de la normalité ancrée depuis l'enfance, d'autant plus que la sphère familiale revêt une dimension sacrée pour moi.

L'histoire de Forbidden nous entraîne dans le quotidien de la famille Whitely, une famille plutôt dysfonctionnelle s'il en est. Un père ayant pris la fuite pour se reconstruire ailleurs au point d'effacer tout lien avec ses cinq enfants (dont on nous dit qu'il souhaitait la naissance, quand même), une mère alcoolique et totalement absente, plus proche de l'ado irresponsable que de l'adulte, un frère hyperactif, un ado de treize ans intenable, deux aînés qui se retrouvent à endosser le rôle de parents et d'adultes de la maison à payer factures et tout le reste... Bref, on a vu plus stable et épanouissant comme cadre de vie. C'est dans cette anarchie constante qu'évolue nos héros, Lochan, Maya, Kit, Tiff et Willa. Plus qu'une simple fratrie, un clan à part entière, seul contre le reste du monde, à tenir à eux cinq une maigre barque qui menace à chaque page de couler. Outre ce quotidien plutôt compliqué, à devoir se battre constamment contre la menace de la séparation et placement en famille d'accueil par les services sociaux, nos héros ont chacun leurs propres démons à combattre. On a parlé de l'hyperactivité de Tiff, de la crise d'ado de Kit, mais on peut également ajouter à ce tableau l’hypersensibilité et anxiété sociale de l'aîné : Lochan. Bref, le portrait de famille est lourd, très lourd et c'est peut-être justement parce qu'il est aussi lourd qu'on y ajoute, en plus, la naissance de sentiments amoureux entre Lochan et Maya.

C'est une impression qui m'a suivi tous le long de ma lecture, et je ne saurai dire si c'est un bon ou mauvais point. En fait, je ne saurais dire si j'ai été bouleversé dans le bon ou mauvais sens du terme par ce livre. L'histoire de Forbidden est lourde, oppressante, pesante. Les moments de joie sont rares, les moments où l'on souffle avec les personnages aussi. C'était éreintant, tout en étant addictif, surtout dans la seconde moitié du récit. Je trouve beaucoup de justesse à ce livre, tout en lui trouvant beaucoup de maladresses. On jongle entre le point de vue de Maya et celui de Lochan, ce qui a ses avantages comme ses inconvénients dans le sens où, première personne oblige, nous rentrons dans leurs têtes. Le cas de Lochan est d'ailleurs assez intéressant. On découvre avec lui son anxiété, sa phobie sociale. C'est un point que j'ai trouvé particulièrement juste, souffrant (à une moindre échelle) de ce type de trouble, j'ai trouvé que le traitement de ce handicap était bien mené et surtout très respectueux. Lochan est une espèce d'enfant bulle qui ne se sent que "lui" dans la sphère familial. En fait, tous les personnages de Forbidden existent et ne se construisent QUE via la sphère familiale et... Bah c'est le premier point qui me rend perplexe. 

L'aspect familial est primordial de la première à la dernière page du récit. On ne se contente pas seulement d'une histoire d'amour incestueuse, on a face à nous un véritable drame familial. En fait, la romance, à proprement parler, n'intervient qu'assez tardivement avant de devenir omniprésente. Le premier tiers du livre est vraiment consacré à la vie de famille, aux problématiques des uns et des autres. Forbidden nous pose d'abord les décors, le contexte, avant de nous introduire au cœur de son récit. Et... Je ne sais pas. Objectivement, j'ai été très séduite par ce premier tiers, les personnages sonnent juste, l'attachement se fait naturellement, bref : c'est très bien. Seulement, j'ai la sensation que cette première partie du récit n'était juste-là que pour justifier la relation amoureuse qui se développe entre Lochan et Maya. On insiste tellement sur le rôle de parents qu'ils entretiennent, sur cette pression qui est la leur, que je n'ai pas eu le sentiment qu'ils tombaient réellement amoureux l'un de l'autre. En fait, tout le long du récit, j'ai eu la sensation qu'on justifiait la dimension incestueuse de l'histoire par "c'est normal, ils reproduisent le rôle qu'ils doivent tenir parce que maman fait pas son boulot". Je ne peux m'empêcher de me dire que si la mère de Lochan et Maya avait été présente et non alcoolique, jamais rien de tout cela n'aurait eu lieu. Du coup, je ne sais pas quel moral en tirer, je ne sais pas quel message je dois comprendre. 

C'est un peu ce qu'il me bouleverse et me rend incertaine vis-à-vis de l'affection que j'ai pour ce livre. Que l'histoire d'amour soit tragique et belle, n'enlève rien au fait que... Bah j'ai un peu la sensation qu'on a le cul entre deux chaises. Forbidden est à la fois un message de tolérance, mais un message biaisé. Au final, j'ai la sensation que tout le sous-texte du livre veut nous expliquer que l'inceste est un problème psychologique, qu'en effet ce n'est pas normal et que Lochan et Maya ne sont, au final, que des victimes des mauvais traitements de leur mère, mauvais traitements qui ont conduit à cette forme de relation. Du coup, je ne sais pas vraiment quoi en penser. Le soir où j'ai fini le livre, je l'ai fermé avec un profond sentiment de vide. Je ne sais pas si mes convictions ont été ébranlées ou non. Je ne sais pas si ma vision du monde ou ma sensibilité ont changé. Il n'en résulte que cette impression de vide, d'inachevé, comme-ci au final, on avait brodé autour du sujet sans jamais réellement répondre à la question. 

J'ai pourtant beaucoup de points positifs à soulever. Les membres de la fratrie sont tous attachants, les quelques camarades de classe de Lochan et Maya également. On ne tombe pas dans le cliché de l'amie peste ou du date qui s'avère être connard de première. Lochan et Maya sont entourés de personnalités positives, qui leur font du bien, au final ce n'est pas le monde extérieur qui est contre eux, ce sont eux qui sont renfermés contre le monde et c'est une idée que j'aime beaucoup. Le personnage de l'enseignante qui aide Lochan avec son anxiété est elle aussi très agréable. En vérité, les seuls personnages peu convaincants sont ceux des parents, de la mère de Lochan et de son petit ami du moment : Dave. Le livre se lit vite et se lit bien, on a le droit à des chapitres particulièrement touchants avec Kit et les deux plus petits de la fratrie. Chacun évolue, apporte quelque chose au récit. Bien que tournant un peu en rond, la romance entre Lochan et Maya fait quelque chose, spécialement dans les derniers chapitres où tout bascule. La fin va très vite, peut-être même trop, c'est chaotique, ça s'enchaîne sans laisser le temps de rien mais je n'y vois pas une erreur, bien au contraire. On est emporté avec les personnages et on ne souffle qu'à l'épilogue, un peu choqué, parce que tout ce qui a été vécu et dit les trois derniers chapitres ne nous ont pas épargnés. 

Je ne sais pas si je peux vous conseiller Forbidden, je ne suis pas spécialement convaincue par le message autour de l'inceste et le livre, bien qu'ayant des vrais points forts, n'en reste pas moins dur. On en ressort pas indemne et ce n'est peut-être pas une lecture à mettre entre toutes les mains. Ceci dit, si vous voulez vous lancer, je ne peux que vous conseiller d'éviter la version sortie en septembre 2017. Le travail éditorial y est particulièrement bancal (oublie ou inversement des pronoms, faute de frappes, phrases qui disparaissent, oubli de mot, etc.). Visé plutôt celle sortit un mois plus tard qui devrait corriger tous ces défauts. 

Ma note : 15/20

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